. J’ai d’abord passé un mois à Belle-Île en 2e année d’internat ; puis
Morlaix et Nantes pour acquérir ma spécialité d’ORL.
Depuis cette époque, la Bretagne ne m’a plus
quitté.
En 1984 après ma thèse, je devais rejoindre un poste à l’hôpital de
Vannes.
Mais ça ne s’est pas fait et on m’a proposé de venir à Lorient.
Quel accueil y avez-vous reçu, sur le plan professionnel et dans votre
vie de nouvel arrivant ?
J’étais le bienvenu à l’hôpital et ai tout de suite été accepté
en tant qu’interne.
J’étais le seul étranger – puisqu’encore Algérien –, mais j’étais diplômé
et ai tout fait pour rester dans cet hôpital où je me sentais bien. Ce qui
veut dire que j’ai vraiment bossé dur pour faire mon boulot !
Côté privé,
j’ai rapidement pris mes marques dans cette ville où la musique
m’a tout de suite permis de créer des liens.
Je peux dire que c’est par les Ateliers jazz – dont j’ai été président –
que je me suis connecté à la ville.
Je joue – entre autres – de la contrebasse et à ce titre ai navigué dans
l’univers du jazz, du rock et de la musique bretonne.
J’ai d’ailleurs été trésorier de (MAPL).
À une époque, avec mon groupe nous avons même failli être lauréats de La
Bogue d’or de Redon en invitant l’oud au fest-noz.
Une première, diversement apprécié du jury !
Mais j’aime aussi la contrebasse classique, que je pratique au sein des
deux Ensembles de musique baroque et symphonique du conservatoire lorientais.
Musiques Actuelles du pays de Lorient Petit Samedi,
À quel âge êtes-vous arrivé d’Algérie et quels
souvenirs gardez-vous de cette époque ?
J’avais deux ans et avec ma mère et mes trois frères, nous
venions rejoindre mon père arrivé trois ans plus tôt en banlieue parisienne
pour y travailler, avant de faire venir sa famille, comme tant d’autres.
Là-bas, nous habitions à Marnia à l’extrême ouest de l’Algérie près de la
frontière marocaine.
Et je suis toujours à l’ouest : ; un Breton
d’Algérie…
Nous avons d’abord habité dans la famille, puis dans notre petite maison
d’Argenteuil.
Mes parents parlaient des attentats, mais j’étais petit et mes
préoccupations d’enfant étaient ailleurs :
A l’école notamment, où pour la première fois j’ai eu conscience du
racisme.
Vous vous sentez Algérien, Français, Breton. Que
diriez-vous de vos racines ? Êtes-vous retourné en Algérie ?
Je n’y suis retourné qu’en 2017, soixante ans après mon
arrivée…
Si longtemps après pour différentes raisons : quand j’étais encore de
nationalité algérienne, je risquais d’y rester pour accomplir mon service
militaire
. Et puis il y a eu toute cette période noire des années 90 ! Mais là-bas,
j’ai ressenti quelque chose de très particulier dès mon arrivée ; j’étais
bien, avec l’impression d’avoir quitté l’Algérie la veille.
J’ai beaucoup voyagé pendant ces quinze jours et me suis forcé à
reparler arabe
. J’ai fait beaucoup de photos d’Alger, d’Oran et d’ailleurs.
Mais j’ai été choqué par l’impression de délaissement qui
émanait du pays, y compris dans les grandes villes !
La Kasbah d’Alger était en totale décrépitude et certains musées nationaux
à l’abandon.
Cela m’a rendu amer et triste ! Pour autant, j’ai envie d’y
retourner.
Parlez-nous de cette aventure des Lorientales.
De quelles envies, de quels besoins, est né ce projet de festival ?
En tant qu’Arabe et Breton, c’est sans doute une façon de me
réapproprier mes racines.
Un souhait fort de bâtir des ponts entre l’Orient et Lorient, une envie de
transmettre.
Au départ,
je souhaitais faire entendre de la musique orientale, mais très
vite s’est imposé le désir d’aller au-delà pour valoriser cette culture. Et
Lorient est apparu tout à fait approprié pour accueillir ce festival qui se
voulait ouvert sur le monde.
Au fil des années et en lien avec différents partenaires, il a grandi, s’est
enrichi de poésie, de calligraphie, de théâtre ou de gastronomie, entre
autres.
Et du prix littéraire, présidé l’an dernier par Marie-Hélène Lafon
– qui vient d’obtenir le prix Renaudot –.
Nous n’en sommes pas peu fiers ! Et il en existe un maintenant en
Algérie, associé au prix Goncourt.
La photo semble prendre une grande place dans
votre vie ?
C’est vrai, mais de manière différente selon les périodes de ma
vie.
Cette passion m’est venue à Paris dans les années 70. J’étais étudiant et
avec le premier salaire de mes petits boulots,
je me suis payé un Minolta.
Un grand moment ! J’avais un petit labo et à cette époque, j’ai fait des
tas de photos !
Des jeunes d’Argenteuil, des fêtes de famille, de ma grandmère, de la fête
du mouton…
Puis entré dans la vie active et très pris par mon métier, j’ai totalement
cessé d’en faire.
Cette envie m’est revenue avec les Lorientale .Un ami m’a prêté un super
appareil et j’ai décidé de m’équiper sérieusement !
J’ai intégré l’équipe du Festicelte, petit quotidien du Festival
Interceltique, pour porter mon regard du côté de ses coulisses, de ses
travailleurs, de ses bénévoles.
J’ai toujours sur moi un petit appareil, car ce que j’aime avant tout,
c’est photographier les gens.
J’ai suivi la dernière collection de l’école de broderie quimpéroise de
Pascal Jaouen(N.D.L.R. : qui signe la couverture du Livre des 10 ans), pour
en photographier toute la préparation dans les ateliers.
Onze photos en noir et blanc y sont actuellement exposées.
Que retenez-vous de vous de ce chemin parcouru
depuis votre arrivée d’Algérie à tout juste deux ans ?
Je suis heureux de mon parcours qui, en tant qu’immigré algérien
fils d’ouvrier ajusteur,
m’a permis de réaliser nombre de mes souhaits.
Ce métier extraordinaire, par exemple, qui m’a comblé et ouvert énormément
de portes.
Quand on est médecin, les gens vous font confiance et il faut honorer
cela.
Pouvoir soigner m’a été un grand bonheur et l’occasion de belles
rencontres.
Et je suis fier d’avoir initié ce festival qui permet de partager la
culture et les valeurs humanistes de la Bretagne avec celles du monde
oriental ; d’avoir contribué au développement de sa connaissance et de sa
compréhension.
Et heureux de laisser une trace écrite de tous ces témoignages,
traditions, pratiques artistiques et culturelles recueillis de Lorient à
L’Orient
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